Voyage au pays du vent

P8212095.JPGVoilà qui est fait pour la fin… maintenant place au départ.

Tout commence par une idée, encore. Deux villes, onze journées de libres entre les deux. Un bon vélo et un camarade, Andrei. Et nous voilà partis un bon matin, une matinée vaseuse pour moi où je me réveille d’un empoisonnement alimentaire… Je ne suis pas au meilleur de ma forme mais le départ est prévu, et j’ai envie de partir. J’ai envie de prendre la route ! Et quoi de mieux pour voyager que de le faire à vélo ? Que chaque kilomètre soit parcouru par ma propre volonté et le corps qu’elle dirige. Alors nous sommes partis, parce que ça peut-être aussi simple que ça, même si c’est pour parcourir 900 kilomètres en 7 jours. Parce que la distance ne compte pas, c’est plutôt le temps qu’on lui accorde, le temps qu’on se donne, le temps qu’on partage.

Nous quittons Linz en Autriche, l’objectif étant de se rendre à Heerlen aux Pays-Bas où nous serons en spectacle dans quelques jours. Nous allons traverser l’Allemagne en diagonale, par la campagne, parfois en suivant le Danube, le Main, le Rhin, parfois au milieu de nulle part, d’autres fois en traversant de jolies petites villes et villages. Nous voyons des châteaux de partout, des champs, des vignes, et des bancs. Je m’émerveille de ces simples bancs que je trouve profondément poétiques. Ils sont plantés là au milieu de rien. Je m’imagine ces gens qui prennent encore le temps de marcher jusque là, juste pour s’assoir et contempler le paysage qui s’offre à eux. Du temps pour rien, c’est du temps pour tout. Je pense aussi aux amoureux clandestins qui se sont sûrement embrassés là, après s’être timidement rapprochés l’un de l’autre. Les histoires possibles sont infinies et ce banc est déjà loin derrière moi. Vivement le prochain !

Nous roulons encore alors que la nuit a depuis longtemps avalé le jour. La route devant nous est un mystère qui se révèle peu à peu sous le faisceau de nos lampes frontales. On ne sait si l’on va tourner ou combien de temps encore va durer cette ascension. La nature terrestre reste secrète pendant que le ciel se livre à nous. Les nuages ne sont pas invités ce soir au bal des étoiles. Le poids du vide qui me coiffe rend léger ma monture et nous traçons dans le noir une route qui n’existe que maintenant. Chacun portant sa solitude avec soi, non pas comme un fardeau, mais comme une unicité. Je respire et pense à mon rythme, même si celui de mes coups de pédale est très semblable à ceux d’Andrei. La lune aussi se dévoile et nous montre un peu plus les contours de ce monde nocturne. Nous filons dans l’obscurité épaisse, comme deux étranges animaux allumant les yeux de ceux qui nous observent. Puis un peu plus loin au détour d’un chemin, nous pénétrons silencieusement la forêt perpétrant le brouhaha des hommes modernes et libres. Nous ne sommes pas d’ici. Nous prenons abris et repos, et ne laissons rien qu’une trace au sol que la journée prendra le temps de recouvrir.

Nous faisons des rencontres formidables parce que les portes du monde sont ouvertes aux voyageurs qui sourient. Libre et léger, nous prenons peu de place dans ces petits chez soi de quelques jours. Chez les nouveaux amis qui se rencontrent sur la route, ceux qui ont le cœur assez grand pour vous envelopper d’un doux duvet pour une nuit ou deux. On se régale les uns les autres d’histoires, et de nourriture partagée. L’hospitalité résonne encore même si la rencontre n’a duré que quelques minutes. J’aimerais que les portes restent ouvertes pour ceux qui en ont le plus besoin…

Nous continuer à tracer face au vent, comme si nous en cherchions l’origine. Il vient de là où nous nous rendons, et plus on progresse, plus il se renforce. Les descentes deviennent aussi ardues que des montées. Nous continuons de pousser à la force de nos jambes et toujours avec le goût du voyage. Tout est découverte et apprentissage. On se réapprend quand on roule au moins 6 heures par jour. On passe par l’ennuie, puis on redécouvre la patience. La tolérance grandit, celle de la douleur et celle qui se joue dans la tête. On chante ! On lâche le guidon et on vole ! Le vent ne nous arrête pas parce que nous sommes lancés. Nous l’avons choisi et une fois sur la route il suffit d’avancer. C’est une longue et belle méditation que de voir le monde changer au même rythme que les nuages. À un moment donné, on en oublie les jambes. Nous sommes le mouvement. Seul les fesses nous rappellent le temps. Nous sommes assis sur une montre qui rougit. Son tic-tac augmente et nous invite à la pause. Ces moments de grâce où l’on s’assoit ailleurs que sur une selle, où on continue de voir défiler le monde non pas à coup de pédale mais autour d’une Radler bien fraîche.

Aujourd’hui, ça fait deux jours que nous sommes arrivés et mes jambes roulent encore. Mon esprit a continué la route lui aussi. Et malgré ça je me sens un peu plus là. Le voyage continue mais autrement. Jusqu’à ce qu’une autre idée me pousse ailleurs et que mon vélo m’emporte loin sur de nouveaux chemins.